Comment collecter et transmettre des savoirs agro-écologiques ?

Du 9 au 11 juillet, l'institut d'éducation à l'agro-environnement de Montpellier Sup Agro réunissait quelques 120 chercheurs, enseignants et acteurs de terrain lors du colloque «Agro-écologie : savoirs, pratiques et transmissions». Le travail des participants amorce un chantier de création d'outils, voire de facilitation de nouvelles postures, pour participer au mouvement vers la transition agro-écologique.

Depuis 2009, l'institut travaille sur la notion de « savoirs agro-agrocologiques » (SAE) qu'il définit comme un objet complexe, réunissant divers types de savoirs, formant ainsi un système. Cela englobe tant les savoirs empiriques, expérientiels que les savoirs scientifiques, qu'ils soient stabilisés ou en construction. Le concept de SAE est d'autant plus complexe à appréhender qu'il désigne des savoirs dont la vocation est d'être à tendance « universelle », ou du moins généralisante, et des savoirs développés localement. En outre, ces derniers ont pu être élaborés par les gestes, le rapport du corps à son environnement, à la nature, aux outils... mais aussi développés dans l'affect, c'est-à-dire en tenant compte de la part sensible des individus. L'alliance et l'entrecroisement de tous ces savoirs ont pour objectif de développer des pratiques qui permettent de travailler avec les agroécosystèmes.

Cette pléthore de savoirs à prendre en compte bouscule les schémas classiques puisque les savoirs expérientiels ne se formalisent ou ne s’explicitent pas de la même manière que les savoirs scientifiques. Cela questionne les méthodes de collecte et de transmission des SAE. Dans ce contexte, le colloque souhaitait participer à la réflexion sur les enjeux pédagogiques autour de ces étapes. Par exemple, une des difficultés est de saisir des connaissances et des compétences qui ne sont pas statiques, mais qui s’élaborent dans une suite d’adaptations successives aux ressources disponibles, aux modifications de l’environnement et aux objectifs de gestion. Dès lors, le formateur/conseiller devient accompagnateur dans l’émergence du savoir. Son questionnement se fait multiple : comment identifier les savoirs dans les discours et les pratiques ? comment les rendre explicites ? comment/sous quelle forme les collecter pour les diffuser ? dans quelle mesure un enseignant/formateur peut ne pas offrir de solutions directement utilisables à un futur professionnel ? etc. Ces questions se sont retrouvées au cœur des travaux des participants au colloque, avec la volonté de produire des outils et de décider des prolongements concrets en matière de recherche, d’enseignement et de pratiques de terrain.

Le colloque a permis de réunir divers publics. Enseignants, professionnels du monde agricole, chercheurs se sont mélangés dans les ateliers en salle et sur le terrain durant les 3 jours. L'objectif était de rester pragmatique et de proposer, dans chaque atelier, des principes pour collecter et transmettre des savoirs agro-agrocologiques au quotidien. Des besoins ont été identifiés, ainsi que des outils (voir encarts respectifs). Un temps de barcamp a également permis de présenter quelques expériences allant dans le sens du questionnement de l'événement (voir encart).

Les besoins identifiés auprès des participants
Les besoins sont de divers ordres. Cela peut aller du constat concret de guides pédagogiques jusqu'au besoin plus radical de changement de mentalité et de façon de fonctionner. On constate, pour beaucoup, la nécessité de savoir comment déformater sa propre façon de transmettre ou le besoin d'avoir un regard systémique, que ce soit de l'exploitation comme de l'enseignement. Enfin, une écrasante majorité exprime le besoin d'intégrer le regard des sciences sociales, de l'humain, dans un système qui ne doit pas se contenir à l'agronomie ou à l'écologie.


Les compétences nécessaires et les outils identifiés durant le colloque pour aller vers la transition agro-écologique

Les compétences mobilisées pour la collecte et la transmission des savoirs agro-agro- écologiques :
  • appréhension globale du contexte et des enjeux
  • hybridation des connaissances, des savoirs
  • conduite de projet multi-acteurs, en réseau
  • capacité d'observation d'un milieu, y compris par l'éco-formation
  • acceptation de la part sensible dans le rapport entre un individu et son environnement. Rester à l'écoute de ses ressentis corporels, sources d'intuition
  • acceptation d'être déstabilisé pour permettre la réflexion et le changement de pratiques.

Quelques pistes d'actions, qui seront développées ces futurs mois :
  • échanger entre pairs, acteurs du territoire : une thèse est en cours à la FNCUMA sur la dimension collective de la transmission des savoirs.
  • questionner l'outil internet pour la diffusion des savoirs.
  • utiliser des « creative commons », licences facilitant la diffusion des savoirs par les titulaires de droits d'auteurs
  • utiliser les outils d'analyse du travail, par exemple sur le thème « comment gérer l'incertitude ? »
  • faire évoluer les modes d'évaluation, que ce soit des pratiques professionnelles comme pédagogiques
  • créer des outils d'évaluation des représentations qui sont à la source de nos choix professionnels comme personnels, notamment dans nos pratiques quotidiennes
  • utiliser les divers types d'enquêtes existants : récit de vie, instruction au sosie, enquête participative etc. pour mieux cerner les divers savoirs en jeu
  • nous reconnecter à notre part sensible, à nos intuitions par des exercices

Exemple d'actions allant dans le sens de la transmission de savoirs agro-écologiques :
  • Dans l’enseignement agricole, l’exemple du plan Ecophyto décliné dans les lycées agricoles montre que l’innovation agronomique associée aux systèmes de culture a modifié le rapport au savoir. Il s'agit d’adapter les parcours de formation pour former au raisonnement systémique. On parle de concomitance entre la production et la transmission de connaissances : les savoirs des techniciens deviennent moins stabilisés et sont en évolution constante, les apprenants participent de plus en plus à l’analyse critique et la co-construction des savoirs.
  • Pépites est un projet de recherche dont l’objectif général est de produire des connaissances sur les processus écologiques, les processus d’innovation technique et sociale, et leurs interactions, pour évaluer et concevoir des systèmes techniques et des dispositifs d’accompagnement plus durables. Une plateforme de ressources pédagogiques a été créée dans ce cadre pour contribuer à la formation et au transfert des connaissances.

D'autres projets sur le site </div>""

Les thèmes des ateliers ont été organisés autour de deux entrées : "avoir accès aux savoirs agro-écologiques" et "construire des connaissances". Cette séparation, bien qu'artificielle puisque nous savons que toutes les problématiques s'enrichissent et sont liées dans la réalité, a pourtant été choisie pour éviter de tomber dans le piège des généralités. Un atelier, par exemple, a permis de questionner l'outil vidéo dans la collecte de SAE, tandis qu'un autre réfléchissait aux atouts/faiblesses du numérique dans la transmission de ces savoirs. Ces groupes ont ensuite été répartis sur divers terrains pour se « frotter » concrètement aux enjeux de la collecte et de la transmission des SAE. Les comptes-rendus de chaque atelier sont disponibles sur le site du colloque.

Une des originalités de l'événement était de proposer des temps de plénières dont le contenu était élaboré sur la base des travaux menés en ateliers. Une prise de note pouvait être consultée par les intervenants des plénières en direct des ateliers grâce à des outils participatifs. Cette exigence respectée avec bonne humeur par les intervenants (scientifiques comme professionnels) permettait d'éviter des discours décontextualisés des questions soulevées en temps réel. Cela permettait également de co-construire des principes méthodologiques qui serviront de base de réflexion pour la suite du projet. L'objectif n'est pas un recueil sous forme d'actes, mais, là encore, une volonté de rester dans le concret par le montage de groupes de travail qui valoriseront, développeront et diffuseront les différents matériaux exposés et analysés durant les trois jours. Les groupes de travail, qui seront constitués de divers acteurs afin de poursuivre l'approche interdisciplinaire, se focaliseront sur les projets suivant :
  • Une réflexion sur les représentations qui influencent notre rapport à l'environnement. En amont des questions techniques, il est nécessaire de prendre conscience des influences plus ou moins conscientes qui guident nos pratiques. Des outils d'identification des représentations seront construits.
  • Un groupe de travail pour identifier des outils et des méthodes pour se saisir des référentiels d'enseignement. Le groupe s'appuiera principalement sur les enseignants en sciences humaines et sociales afin d'identifier des outils nécessaires au dépassement des blocages d'ordre culturel à la transition agro-écologique. Les questions autour des relations homme-nature, au cœur du quotidien des professionnels du monde agricole, seront ciblées.
  • La constitution d'un réseau de sites de référence dédiés à l'expérimentation d'outils et de méthodes de collecte et de transmission de savoirs agro-écologiques.

Le colloque a permis à divers groupes d'acteurs qui se côtoient relativement peu au quotidien, de se rencontrer et d'échanger sur un sujet en construction. Les débats ont permis de reconnaître mutuellement questionnements, freins et leviers à la transition agro-écologique. Il y a eu création d'une culture commune sur une thématique encore peu stabilisée. Les pistes identifiées durant les 3 jours vont, à présent, permettre de créer des outils pour offrir de nouvelles bases de travail aux acteurs de la recherche, de l'enseignement, du développement agricole et de l'environnement. L'évolution du projet est à suivre sur www.colloque-supagroflorac.fr/savoirs-agro-ecologiques.

Si vous souhaitez participer à ces projets, n'hésitez pas à nous contacter (aurelie.javelle@supagro.inra.fr).